Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS n°17- Mai 2009- Fanny de Rauglaudre-

Publié par LE CAPITAL DES MOTS ( revue de poésie) sur 31 Mars 2009, 23:03pm

Catégories : #poèmes

 

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Elle déplace ses prunelles pour le voir partir. Cela fait plus de dix minutes qu'il ne tient plus en place. Il se lève, se rassoie, se lève, se rassoie, vite, vite. Cette fois c'est pour de bon, il exécute une ample révérence à l'attention de sa femme, se redresse, agrippe sa grande toile enroulée, son œuvre et part. Il fait le tour de la petite place, salue commerçants et quidams d'un large sourire où éclate un rugissement aphone « je ne veux plus me taire ». Il brandit comme une arme sa peinture et tourne, tourne autour de cette place où tout le monde le connait. 

 

Un, deux, trois, quatre tours, nord, sud, est, ouest, la Réconciliation, l'Amour, la Vérité, le Temps. Cinquième, sixième, le huitième quidam je l'embrasse, c'est lui, c'est elle, énergie d'amour, ça circule, je le regarde il est guérit, lavé. Vertige.

 

Elle déplace ses prunelles pour le voir partir. Vingt minutes qu'il tourne. Ca ne l'amuse pas et elle voudrait pleurer et tout laisser là. Mais elle le surveille du regard. Il entre dans la quincaillerie et ressort avec un carton d'une vingtaine d'aérosols riant aux éclats et pleurant en même temps. Quand devrait-elle agir? Il ne l’écoutera pas.

 

Il s’élance vers la librairie. Il salue, plonge ses mains dans le carton, en ressort deux bombes et asperge son corps ; noir puis jaune. Il prolonge son geste vers la vitrine et inscrit en noir et jaune à la fois « dada est vivant ». Le libraire sort, regarde sa vitrine et le salue d’un clin d'œil.

 

Elle ne le rattrape pas. Elle est immobile, silencieuse et pleure. Quelques lourdes larmes sur une peau lasse et fatiguée. Les autres clients la regardent avec condescendance. Ils ont assisté à la scène. Ils ne comprennent pas. Affection, secret, envie, rejet pour ce jeune couple en crise.

 

Il bouge encore, ne s'arrête pas, improvise une danse et se dirige vers le platane centenaire qui trône au milieu de la place. Il le salue cérémonieusement et dépose à son pied son œuvre, son offrande. Il reste là une minute entre recueillement et repos puis se replonge dans la foule.

 

En furie.

Il jette tout ce qu’il porte sur lui, il cherche dans ses poches, dans son sac, dans les recoins de sa veste. Il jette tout ce qui l’attache et voudrait aussi jeter sa peau. Il étouffe, retire ses vêtements. Nu.

 

Les sirènes hurlent...elle ferme les yeux. Elle ne veut pas bouger de ce troquet, elle ne veut pas entendre. Elle se bouche les oreilles mais le déchaînement des sirènes ne se tait pas. Que lui dicte t-il? Partir? Le rejoindre? Attendre? Bientôt son téléphone sonnera et elle devra encore signer des formulaires, rassurer les proches et patienter. Répondra t-elle cette fois?

 

Tout s'est ouvert, il voit, il n'est pas malade, il aime sa femme, il aime cette vie, il lit...tout. Clairvoyance. Pas de garde à vue aujourd’hui mais un fluide dans les veines. Aux urgences il appose ses mains sur chaque malade, et quand on lui demande son nom il en donne mille autres.

 

Enfin une sonnerie. Elle sait. Elle sait où il est. Elle connait bien ce lieu pour l'avoir tant de fois accompagnée. Elle se demande encore à quoi bon, et pourquoi tout ça, plus jamais ça.

 

A la clinique, on le connait bien. On l'a attaché à son lit et piqué. Il faut qu’il cesse de graver sur les murs de sa chambre "je ne veux plus me taire".

Il mettra deux mois à sortir et six autres pour retrouver un semblant d'équilibre. Et il en a l'habitude.

 

Cette fois ci il est bien décidé à ne plus se taire.



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Fermée à double tour comme jamais je ne le fais, j'ouvre la porte et entre.

 

Une odeur de fromage pourri rempli la pièce. Je me dirige vers la fenêtre et l'ouvre, prends un bâton d'encens et l'allume.

Le passage est jonché de sacs, à main, plastiques à moitié pleins. Je les prends un à un, les vide de leur contenu et les range.

Sur la table, une bouteille de cola vide, deux bols tachés de mares de cafés sèches, une bouilloire, une boite à compartiments contenant ici deux biscuits rassis, là un sachet de thé sec, là bas des mégots jaunis par le temps, des feuilles imprimées, deux livres recouverts de poussière polluent ce lieu de vie qui a accueilli tant de bons moments...Par dessus tout ce fatras, un immense panneau jaune ?  inondation ?

La statue, la grâce règne sur ce bordel en tournant la tête de dégoût pincé.

Sur la grande ardoise, des vingtaines de croix, un G, un dessin de femme courbée, une adresse, son numéro, ? surgissement ? et un schéma incompréhensible.

Le silence règne. La voisine n'a pas dû encore rentrer, j'aurais entendu ses cris hystériques en écho avec mes pas sur le plancher.

 

Dans la pièce à côté l'obscurité règne mais on devine là aussi un désordre, un chaos, la saleté. J'ouvre les volets. C'est encore pire que ce que je pensais...La guitare est suspendue au lustre par ses cordes, le gros globe terrestre est au sol, défoncé, à l'envers, des vêtements partout classés par couleur, le dictionnaire et quelques livres ouverts et soulignés en rouge à certains passages, et surtout des tags sur chacun des quatre murs: ? révolte, essence, être, art, humanité ?,  ? quand le disciple est prêt le maitre est là ? etc.

 

Ce lieu n'est plus sacré.

 

Je baisse les bras.

 

Déterminée j'attrape mon sac et saisis les quelques objets que je place sous la guitare: une écharpe rouge, sa photo, quatre cahiers, le lavis, et le bidon d'essence que je commence à renverser sur les 4. Je m'allume une cigarette et jette l'allumette, les flammes surgissent aussitôt. Je renverse le bidon un peu partout et ouvre le gaz avant de m'échapper de l'immeuble aussi tranquillement que possible.

 

 

Explosion grandiose que je regarde avec la Requiem de Mozart sur les oreilles. Je dis adieu au quartier et à cette vie puis disparaît dans la foule de badauds agglutinés autour de mon fait divers.



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Le pouvoir de la haine?

Le pouvoir de l'amour?

Je gueule, la lumière s'éteint.

Je peste, la musique baisse.

Je les vois toutes les deux jouer comme deux chatons, chamaillants et complices.

Je nous vois simples, deux jumeaux respirant côte à côte.

Au coin de l'oeil.

On ne me voit pas voir ou alors on fait mine.

Je l'ouvre et on m'entend trop bien.

Pourtant c'est plus difficile.

On parle d'imperfection ici.

Alléluia, le chemin est là.

ォ une infinité d'éclats miroitants 

Plasticité de moins en moins étriquée.

Le monde à l'envers

un jour

Je pourrai

C'est vers cela que je tends

Rien de moins.

En attendant, je travaille, je vis.

Finances cadavériques mais corps de chair et de sang vaillant.

 Associations d'hommes de femmes d'idées de mots de toi de moi.

 Ensemble.

 Composition

 Sinon offense.

 Ce sentiment squatte tout l'espace mental;

Je ne parviens à lui tailler un costume pour le saisir et le mettre mate.

Du coup je danse, et danse et danse...

Energie m'envahit, la vie m'honore, j'honore la vie.

Respiration.

Retour à un rythme cardiaque acceptable.

Echec?

Esquive.

Spirale au ralentie.

Sincérité dans la violence.

Prudence dans l'énoncé.

Payer les pots cassés.

casser les pots fêlés.

par simple pensée.

Pouvoir mon cul.

Ne pas en faire une histoire personnelle, (mon cul?)

Presque apprivoisée.

Rétention?

aider!

Utiliser.

Emettre, recevoir.

Recevoir, Emettre.

Palpitations.

Juste équilibre, trouver.

Comment?

Vous pouvez répéter?

 

Le pouvoir de la haine?

Le pouvoir de l'amour.

 

"O mon âme n'aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible"

 

 

 

FANNY DE RAUGLAUDRE

 

Actuellement artiste en chantier à l'école des Beaux Arts de Bordeaux, Fanny de Rauglaudre se considère aussi comme poète. Les textes sont souvent illustrés par ses soins ou ceux du plasticien Jean Pierre Civade ou mis en musique avec la complicité du compositeur Lexlegis...

Ses inspirations se situent autour de la musique mais aussi d'auteurs comme Michaux, Odysseus Elytis, Portugal, Rouzeau, Gary...

Tous ces horizons font de son écriture un cocktail curieux, libre, brute et fantaisiste.

 

 

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