A TOUS
Renseignements pris,
je ne pars plus
au bout du monde.
Il y fait trop froid ou trop chaud,
le voyage est fatigant,
l'accueil est incertain.
Je reste avec vous
pour la chaleur triste
de nos foyers protégés
et de nos distractions programmées.
Mes nuits sont mauvaises
et mes jours nauséeux.
L'argent est le grand vainqueur
de ce monde décor.
Je reste avec vous,
l'angoisse au ventre;
le verbe espérer retenu
au creux des reins.
***
SOUVENIRS VAGUES
J'ai oublié l'essentiel
Je dois retrouver le chemin
Le cœur plein
La poitrine lourde
Le pas léger.
Je ne me souviens plus très bien de la première pluie
Ni des premiers orages,
Mais je me souviens de l’exil déplacé
De lieux en lieux.
Je ne me souviens plus de ce qui fut premier,
Mais je me souviens de toi,
Sang de la terre
Pulsation rythmée du cœur.
Je ne me souviens plus de l’essence du monde
J’ai oublié, c’est vrai,
J’ai oublié l’essentiel.
J’aimerais tant me souvenir du voyage
Des bribes de parcours,
Morceaux épars
Me reviennent parfois
Images cassées, kaléidoscopiques
J’aimerais tant me souvenir de ma naissance
Effrayante.
J’ai oublié, c’est vrai,
J’ai oublié l’essentiel.
Mais je me souviens du parcours.
Je me souviens de toi,
De rien, et je suis triste.
Je me souviens des ombres
Qui flottaient au dessus des rameaux
Et des jours sans nuit
Et des cieux sans orage.
Je me souviens de la route
Parcourue au travers des champs
Je me souviens de tes regards
De ta voix,
De nos rencontres
Nos murmures, nos rires
De notre connivence
Envers et contre tout
Et contre tous aussi.
Je me souviens,
-C’est un peu flou-.
Je me souviens
Des rires, des jets de pierres
Des courses sur les chemins
Mais surtout de l’origine,
De là d’où je viens,
C’est si loin,
Cela fait si longtemps.
C’était avant la vie,
Avant la mort.
Nous étions heureux .
C’était il y a longtemps.
Aujourd’hui nous sommes fatigués.
Nous jouons des rôles,
Qui ne nous conviennent pas.
« le gendarme et le voleur »
« le bon et le méchant »
comme des gosses.
Nous sommes des enfants,
Et nous nous mordons les poings,
Nous serrons nos lèvres,
Pour ne pas hurler
Hurler à la vie,
Cette vie abîmée.
Nous sommes des enfants,
Et nous jouons aux bonnes manières
Derrières les coups en douce
Les mots violents
Derrière des sourires de façade,
Des murs en plâtre
Des corps de théâtre
Pour quelle mise en scène ?
Grands auteurs ou théâtre de boulevard.
Nous parlons de choses
Qui ne nous concernent pas,
Des faits divers,
Nos repas arrosés,
Et nos derniers achats,
Dont nous n’avons pas besoin.
Arrêt sur image,
Souvenons nous des jours meilleurs
Où nous étions heureux.
Non, impossible…..
Je ne me souviens plus très bien
De ce qui fut l’origine
Désir oublié, submergé
Par la multitude
De nos constructions bricolées
De bric et de broc
Saturées d’abstractions
De bonheur dévoyé
De volonté d’exister
Envers et contre toutes nos pertes de mémoire
Nos défaillances ontologiques
Soirées d’un autre âge
Galons dorés et décorations diverses
Habits retournés
Pour masquer l’usure de nos propos,
Et nos vies dérisoires.
Abandonnées
Nos rebellions
Nos quêtes multiples
D'eau de source
Fraîche et limpide
Au murmure de cristal fracassé
Éparpillé sur l’eau de roche
Nous plongeons à corps perdus
Et nageons dans les eaux stagnantes
De nos habitudes marécages.
Je me souviens de nos faiblesses
De nos mensonges
Notre amour pour le prochain
Tout proche
Et notre crainte de l’étranger
Et nos bonnes manières
Je me souviens de nos désarrois
Face à l’inconnu
Face à la fermeture
Face à notre exil prolongé
Seulement rassurés par nos maisons
Où nous nous retrouvons au chaud
Entre nous.
Où sont les aventuriers au long cours
Prêts au risque et l’ouverture ?
Te souviens tu de nos matins brumeux
Où nous ne savions plus très bien
Où nous allions ?
Nous étions là –simplement-
Sans désirer autre chose que cette lumière claire
Qui nous attendait déjà
C’était le temps où nous prenions le temps de sentir.
La vie n’avait pas d’importance
Nous la savions éphémère
Elle s’écoulait lentement –sûrement-
Tranquillement.
Nous n'avions pas ces brusqueries,
Ces sursauts désespérés
Ces cris hachés
Ces gestes désordonnés
Ces haines subites.
Nous n'avions pas peur du lendemain
de l'autre.
Nous ne contestions pas tout
Éternellement.
Nous faisions confiance
Dans le cours de la vie
A corps perdu.
Et peut-être est-ce un rêve.
Mais l'image est là,
Malgré tout,
Malgré moi.
L'image du bonheur
Inoubliable
L'image de la joie pure
Altérée par l'oubli
Qui creuse son sillon
Dans les veines du temps
Ce bonheur qui crie
L'oubli assourdissant
A perte d'ouïe
A perte d'haleine...
Ce bonheur qui ne veut pas
de l'oubli
de l'invisible
Ce bonheur qui épelle son nom :
« Bonne Heure »
Bonne comme la caresse sur le corps
Bonne comme la lumière sur l'espace.
Prends le temps de vivre
Prends le temps d'exister
Chaque heure est bonne.
N'en perds pas une,
N'en oublie pas une
BÉATRICE HOREL
Elle se présente :
Je suis née en 1947 danslescôtesdunorddelaBretagne...Très vite je fus amenée à la quitter pour suivre mon père dans ses aléas voyageurs... qui m'ont laissé un goût de rêve, et un manque certain de stabilité...
Une scolarité chaotique m'a amenée à faire du secrétariat, pour assurer mon gîte et mon couvert, souvent à temps partiel pour me consacrer dans un premier temps à la peinture durant de longues années, avec comme modèle Cézanne et autres peintres maudits.... la reconnaissance ne serait pas pour moi. Sauf la mienne, toute intérieure.... Mais la peinture me renvoyait à mon silence. L'écriture vint la combler. L'écriture sous toutes ses formes. Le journal, les poèmes, les contes et les lettres, dans lesquels mon esprit s'explore et cherche à se reconnaître. Et ce faisant, rencontre le monde.... reflet au milieu de tous les reflets du monde, que je reconnais comme ses frères et sœurs de passage.... dans mon exploration de l'inédit de l'être.
Je vis actuellement en Dordogne, dans un petit hameau... et goûte d'avoir tout ce temps pour la poursuite de mon exploration.