« Corps aimé »
La bouche
Bouche auréole
Bouche nativité
Lever d’ancre du corps
Pour son long voyage
Avec la langue
Rose ouverte livre ouvert
Margelle légère
Pour la vie
Tisserande du désir
Bouche de suc et de corde
Premier maillon de l’échelle
De tous les séismes
Un tressaillement de blessure
Tout s’allume et tout recommence
***
La peau
Nous sommes des ampoules
De verre et d’eau
Qui s’allument et s’éteignent
Captifs de la peau
De notre enfance
La peau s’étire vers la mer
Sans la rejoindre
La peau tatouage intérieur
Des vieux songes
Mal écrits mal ficelés
Mais toi dans la sphère
De ta peau
Tu es l’œil plus vaste
D’une seconde vue.
***
Les seins
Les seins tes ponts
Se sont levés
Pont-levis ponts de vie
Arches en mouvement
Des captations
De l’hyper-sensible
De la présence quotidienne
Celle qui préserve
L’érogène du jour
Arcs du désir
Cratères des couleurs
En éruption simultanée.
***
Le pied
Qu’est-ce qu’un pied ?
Le cep de chair
D’os et de sang
De la vigne du corps
Trésorier de la grappe
Des orteils
De la nacre des ongles
Ordonnateur de tous les pas
Perdus
Et en attente
Des vagabondages
Du piétinement
Des parcours vers l’origine
Un cep qui marque son empreinte
Sur la terre
Et la fructifie
Un pied pris à pleine main
Change ma paume
En raisin dont le suc
Provient de l’aube naissante.
***
La nuque
Il existe un nid
Dans le corps
Pour tous les oiseaux migrateurs
Les plumages renouvelés
Les caresses clochardes
Les doigts en quête de leur source
Sa douceur est si vaste
Qu’elle est une aube
Tenue dans le filet
De la nuque.
***
Le nez
Par l’olfactif
Le subjectif
Ton nez relie
Ton corps avec le fin fond
Du réel recevable
Je le caresse
Comme s’il surgissait
Des strates de la nuit
Fragile et tendre tubercule
Afin d’inhaler avec toi
De chaque jour
Sa force
Odorante adorante
Sa rémanence inextinguible.
***
Le ventre
La terre inventa la montagne
Surplomb de la vie à venir
Et la vallée
Essentielle du ventre
A sillonner du nord au sud
Pour s’imprégner d’où l’on vient
Avec son œil central
Ses déclivités nonchalantes
L’oreille de sa rondeur
Son herbe cachée sous la robe
Son buisson d’énigme
Où s’imbriquent
Le frénétique et l’abyssal
Blessure sanglante de la chute
Et de la résurrection…
Extraits de « Déchantements »
CHARLES DOBZYNSKI
CHARLES DOBZYNSKI, journaliste, poète, traducteur. Chroniqueur de poésie et co-rédacteur en chef de la revue Europe. Près de 50 titres – poésie et prose – à son actif.
Les derniers en date : J’ai failli la perdre ( Editions de la Différence ). Le four à brûler le réel (essai), Je est Un juif, roman ( poésie) et Le Bal des baleines et autres fictions ( Editions Orizons ). La mort à vif ( Editions Lamourier).
Prix Goncourt de la poésie en 2005 pour l’ensemble de son œuvre.
Le blog de Charles Dobzynski : http://poe.aujour.com.over-blog.com/
Plus d'infos sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dobzynski