Mètres et géomètres
Un gourou grec dénommé Pythagore
savant d'avant Rabindranath Tagore
légifère armé de son théorème.
Euclide, lui, ce maniaque du tri,
aligne en rangs dans sa géométrie
les angles morts et les angles bohèmes.
Les lois d'airain que cisela Euclide
ont la beauté du fameux temple à Cnide
pourtant viendront d'autres hurluberlus,
Lobatchevski, Riemann, ces réfractaires
qui flanqueront son monument par terre,
eux trappeurs d'énigmes irrésolues
Prenant son bain le ludique Archimède
au poids du corps dans l'eau trouve un remède
par le calcul il définit son cas.
Et déchiffrant le code des fluides,
lui, géomètre, alchimiste, un peu druide,
lance au futur sa formule : Eureka !
Dans le pré carré de l'hypoténuse
qui vécut vieux de rapine et de ruse
parmi les nombres d'allure skinheads.
Triangles dealers, trapèzes truands,
qui jactent un argot tonitruant
mais que sont-ils ? Les outlaw d'Achimède !
Les anciens Grecs, ces surdoués des maths
nous ont astreints aux travaux d'automates :
casser A+B, cailloux de l'algèbre.
Si vous prenez un triangle isocèle
ne lâchez pas sa bride ni sa selle :
dans la nature il file comme un zèbre !
Comment braver l'agile quadrupède
qu'on baptisa parallélépipède,
rival de Mimoun ou de Zatopek.
Car fussiez-vous le plus fringant bolide
au marathon des figures d'Euclide
vous ne pourrez gagner même un kopeck !
Parfois, chat ronronnant, vous tend la patte,
un dodécaèdre un peu psychopathe,
un trapèze à poil s'évade du zoo.
Sur leur clavier, parfois, scellant des touches,
des racines carrées, hors de leurs souches,
joueront pour vous de Mozart un scherzo.
Le monde va souvent de mal en pis,
mais grâce à cette clé, la lettre Π
on peut du moins calculer son diamètre.
Ce nombre annelé tel l'anaconda,
est un radar de l'esprit qui sonda
l'espace entier qu'il nous reste à soumettre.
Je est un Naute
O look de séductrice, Ève nympho,
ta particule essaimera l'info
en un clin d'œil sur toute la planète.
Qui a lancé cette abeille passeuse
de tous les pollens, bavarde et farceuse,
en instaurant l'ère de l'Internet ?
L'époque vint du langage sans fil,
l'ordinateur capta la chlorophylle
à reverdir nos yeux et nos oreilles.
Apple va remplacer notre mémoire,
le logiciel est la source où vont boire
tous nos désirs en très simple appareil.
Le piège auquel je suis à vif rivé
c'est WWW.
Je dis Weber et je prononce Web.
Filant des mots je suis par eux fliqué
plus de parole : il faut cliquer, cliquer,
que sont mes mains sur le clavier? Des grèbes.
Du pôle à l'équateur voici la faune
qu'on voit surgir des jungles les iPhone
et les iPod, licornes et sorciers
Qui par nos doigts envoûtent les images,
le nouveau Dieu n'a plus besoin de mages
nos nouveaux sens ont trouvé leur sourcier !
L'homme évolue : il devient internaute !
Il surfe et désormais Je est un naute
qui voit du ciel partout pleuvoir des blogs,
De l'un à l'autre il n'est plus de distance,
en raccourci s'opère l'existence,
de l'inconnu l'homme est numérologue.
La découverte est là : le numérique !
C'est le nouveau continent, l'Amérique,
où toute chose est tactile à nos doigts.
Un Steve Jobs a franchi la frontière
entre l'immatériel et la matière ;
lui Magellan de fabuleux détroits.
Ingénieux cet enchanteur exploite
tout le virtuel d'une petite boîte
dont le négoce a changé les rapports,
Qu'avec l'humain a tissé l'invisible,
images, sons, nous rendent accessible
cet au-delà dont l'iPod est le port.
CHARLES DOBZYNSKI
CHARLES DOBZYNSKI, journaliste, poète, traducteur. Chroniqueur de poésie et
co-rédacteur en chef de la revue Europe. Près de 50 titres – poésie et prose – à son actif.
Les derniers en date : J’ai failli la perdre ( Editions de la Différence ).
Viennent de paraître : Je est Un juif, roman ( poésie) et Le Bal des baleines et autres fictions
( Editions Orizons ). La mort à vif ( Editions Lamourier). Prix Goncourt de la poésie en 2005
pour l’ensemble de son œuvre.
Le blog de Charles Dobzynski : http://poe.aujour.com.over-blog.com/
Plus d'infos sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dobzynski