Où se meurt
Sous l’ongle noirci de l’indigent
Bat le cœur d’un oisillon
Il remercie la branche qui le salue
Il ne sait pas l’écorce de l’arbre
Ni les invisibles racines
Sous l’ongle noirci de l’adjudant
Bat le cœur d’un escadron
Il ne remercie personne
Il ne sait pas la dernière balle
Ni la profondeur de la tranchée
Plus loin, un enfant passe rieur
Un cerceau vacillant et roulant
Pour seule arme
Un érable lui tire la langue
Rouge évidemment
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L’éveil
Marcher sur un chemin en train de se creuser
Peut-être même en train de s’ignorer
De naître et de périr d’un même geste de flamme
C’est qu’un vertige propose son assaut
Au point de suspension
Et de feindre l’élan ne suffit au voyage
Marcher immobile puisque le bras s’avance
Et qu’un funambule prend des notes
Sur les ardoises des toits protecteurs
Les signes attendent leurs miroirs
Suspendus à des paupières mi-closes
Ô Filets tendus à la criée des étoiles !
Vos cils déployés comme des frontières
Exigent de la lumière les raisons du passage
L’âme noue ses doigts de glace mais le cœur ondoie
Il dessine une échelle pour en faire le tour
Elle lui raconterait ses souvenirs d’arbre
Si les clés du ciel consentaient à l’offrande
Marcher en soi jusqu’au visage intérieur
Dont l’ovale se joint à la courbure de la terre
Tel un heurtoir à la porte de l’univers
Extraits de « Melancholia si » Editions Hélices
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LA DAME BLANCHE
Citoyenne du genre humain, j’étais vivante.
Tantôt d’humeur saumâtre tantôt souriante.
Le destin s’offrait à moi comme on se signe,
De mon côté jurant d’être femme et digne.
Transmuée par le désir issu de l’instinct,
En mon ventre la lune attestait les marées :
« Ô flots prometteurs d’un avenir prolongé ! »
Tant de cœurs palpitaient dans le creux de mes reins.
Mais le Malin penché sur la source de vie,
Hostile au temps et glosant la joie d’être mère,
Posait ses deux mains de pierre sur l’endormie.
Désormais, l’horloge vieillie sonne le glas
En murmurant à la fille d’Epiménide :
« Tu étais fantôme et tu ne le savais pas ! »
(inédit)
LAURENCE BOUVET
© Le Chaînon Poétique
Laurence Bouvet est née à Saint-Mandé dans le Val de Marne en 1966. Psychologue de formation et psychanalyste, la poésie est cependant depuis longtemps une compagne de voyage fidèle et infidèle. Ses poèmes se trouvent dans plusieurs revues comme Les Cahiers Du Sens, Vivre en Poésie,Le chaînon Poétique. Après "Spiritualités", recueil écrit en collaboration avec Rosemay Nivard et Pierre Maréchaux, paru aux éditions Le vert galant, elle publie en 2007 Melancholia Si aux éditions Hélices, "Traversée obligatoire" en 2009 et "Unité 14" en 2010 chez L'Harmattan. A noter un texte de Laurence Bouvet dans l'anthologie « L'année poétique 2008 » chez Seghers.
Fiche Wikipédia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Laurence_Bouvet