I
Monde né d’un amour
que l’homme peut porter
à la déchirure qui le fait être,
seul sur la lande intérieure
d’un pays ressuscité.
Mais le monde a-t-il besoin de nos larmes
pour guetter la lumière
et repousser l’ombre ?
Ah, tristes aveugles dans nos demeures froides,
à peine ose-t-on poser le regard
maladroit sur les roches furieuses
qui domptent l’orgueil, la fièvre,
d’une mer retrouvée
par les grandes nuits d’évasion.
A peine ose-t-on poser le regard
sur le masque du visage
que le miroir reflète
et que la mort coud,
trop occupés à composer pour elle
des chants de pure peine.
Et pourtant,
heureux de ce temps passé
à nommer dans l’obscurité originelle
ce qui tremble sur nos lèvres,
il nous arrive de lire ce peu de terre
et de ciel
avec justesse.
Et la tristesse aussitôt gagne
nos cœurs,
ce qui tremblait sur nos lèvres
fuit au fond de l’âme.
II
C’est un battement dont la mesure
est plus forte que la mort
qui guette dans la nuit.
De sa lumière,
ne reste que le grand poème
qu’elle écrit sur la terre
et que je salue,
innocente et pure elle déplace
la mort
dans les tréfonds d’un lieu
qui est moins que la mémoire,
l’amour
au seuil d’un empire
qui est plus que le monde.
Ses bras annonciateurs
annulent les mots – si lourds,
dont les pierres semblent user pour dire leur tristesse,
brisent l’inertie de nos cœurs
transis de douleur,
et leur voix irradiant au plus haut de leurs notes
invoque un homme que nous ne sommes pas encore,
une beauté qui meurt de ne pas être vue.
Quelle est cette loi
qui gouverne le secret
de nos émois ?
Assemblée d’images, d’arbres et de poussière
attisée
par le bruissement doré d’octobre glorieux,
ou bien la parole vive – le chant d’un ailleurs
immanent
dans la blancheur éternelle d’un matin
qui révèle le bord palpitant du vivre.
III
Des larmes ont coulé
sur le papier – peut-être quelques photographies
ou bien des mots amers que l’on ne peut pas lire…
Elle a relevé la tête et lui a dit :
« Renonce à ta mémoire
friable,
elle n’est que poussière
(ce peu de temps)
et l’épaisseur de nos jours
si maigres ne fait pas un poème. »
Renoncer ?
Nos mots comme un visage découvert
devant la face de ceux qui n’ont
que leur chagrin pour chaleur.
Et ces débris de vers,
pareils à des tessons que le malheur
aurait semés sur nos chemins hagards…
Il marche vers la mer et elle murmure :
« ne pars pas.
Prends mes mains, tu y trouveras
la vie plus simple qu’une couleur. »
Un frisson le parcourt,
il crie :
« J’ai ma demeure dans le vent,
j’ai dans le vent ma grandeur. Et je sais
qu’il n’y a pas de repos
sans pesanteur de l’esprit. »
Elle le regarde s’éloigner, c’est déjà la fin d’un monde.
Elle reprend :
« Tu aurais donné notre amour
pour une solitude assoiffée,
tu aurais jeté dans le
feu de la forme pure
ma tendresse
pour la beauté nue. »
Elle regarde au loin
quelque horizon où se
perdre
comme on perd un homme,
c’est-à-dire toujours comme on meurt.
Je n’aurais pas dû être
femme aussi peu folle,
peu légère.
Ainsi l’amour,
le désir jusqu’au bout de l’énigme
contre le deuil aveuglant
et pourtant indépassable
des grandes nuits où mûrit l’alliance…
THOMAS PONTILLO
Thomas Pontillo est né en Lorraine, en 1989. Licencié en philosophie, il poursuit actuellement un master philosophie à l’Université Paul Verlaine de Metz et à l’Université du Luxembourg. Publication dans diverses revues comme Arpa (à paraître), Comme en poésie (à paraître), Le capital des mots, Libelle ainsi que dans un recueil collectif paru aux Editions Flammarion (Poèmes en LOFT).