Texte de présentation : Prix Audiolecture remis le 19-07- 2014 à la Mairie de Nantes
Madeleines C Bulting éditions du Petit Pavé
Issue d’une longue tradition, l’autobiographie est aujourd’hui un genre très apprécié, nombreux sont les auteurs contemporains qui ont rédigé des récits de vie, mais le plus souvent, ce sont des récits narcissiques, au moi omniprésent, chez Christian Bulting, le moi s’efface devant l’autre, le personnage central de son récit, Madeleine, sa grand-mère.
Aujourd’hui, ces récits sont souvent des confessions douloureuses de drames intimes avec parfois la recherche de la résilience, mais le plus souvent l’écrit permet de régler ses comptes avec le passé et les autres.
Le sien s’inscrit dans une tradition plus lumineuse, dans la tonalité des textes de Colette ou de Marcel Pagnol. Son enfance fut heureuse, son texte traduit la tendresse et l’amour partagés en famille. Une famille dont les battements de cœur furent pour lui ceux de sa grand- mère.
En lisant ce livre, j’ai pensé à cette phrase de François Cheng : « Parfois les absents sont là, plus intensément là. »
Madeleine est bien là, vivante, avec lui et avec nous. Christian Bulting nous fait revivre ces années 60. Il nous fait remonter le temps, son temps et aussi le nôtre. Il nous emporte dans les odeurs de confitures de mûres, de poires et de pommes cuites, ce sont toujours pour lui les odeurs du bonheur :
« Odeur un peu écoeurante de la compote chaude, plus grumeleuse que celle achetée toute prête, odeur des pommes qui cuisent doucement dans le four, parfois jusqu’à la caramélisation, ferme mollesse une fois refroidies et entamées à la petite cuillère, fins de repas partagés au goût de bonheur, d’amour, dans le présent éternel de ceux qu s’aiment. » (p.124)
En ces années-là, les desserts étaient souvent les fruits de saisons cueillis au jardin, et non les yaourts fruités en toutes saisons. Il y avait parfois des entremets à la vanille.
Toutes ces odeurs, ces goûts retrouvés sont autant de « madeleines » ce qui nous explique ce titre MadeleineS ; à ce titre éponyme, s’ajoutent toutes ces mémoires olfactives et gustatives. Marcel Proust n’a pas le monopole des madeleines et sa grand-mère lui en a laissées au goût inimitable…
Christian Bulting nous dépeint toute une époque balnéaire, où les mamies encore pudiques n’osaient pas se mettre en maillot de bain, l’époque où elles prenaient des bains de pieds, l’époque où elles portaient encore des corsets roses couleur malabar.
Autour de sa grand-mère, dans la villa familiale de La Baule, membres de la famille et amis se retrouvaient : le grand-oncle, le tante Nini, la tante Jeanne, Amandine et Georgette, les Bensimon, pas les tennis tant aimées encore aujourd’hui des adolescents, mais une vieille dame et un vieux monsieur exquis qui venaient passer y quelques jours.
C’était le temps du jeu des mille francs à la radio, animé par Roger Lanzac, de la pêche aux palourdes plage Benoît, de la « permanente » souci constant de sa mamie, du pliant dont il avoue avoir eu un peu honte ! Mais, « Il n’y a pas d’amour sans vérité. » a si bien dit Ravanel ; cet amour qu’il lui porte, n’empêche pas son regard agacé sur certaines de ses habitudes.
« Objet singulier et laid(…) à portée de la main dans un placard du couloir, le pliant(…). Nous trimbalions la chose à travers les rues de la Baule(…) sans doute étais-je éclaboussé par le ridicule de la situation… » (p.77)
Mamie n’est pas une sainte, pas d’angélisme dans ce récit, elle est aussi une propriétaire « inflexible et cupide »
« Madame Anizon avait devant elle une femme que je ne connaissais pas, une propriétaire dure, inflexible, cupide, une bourgeoise avec des réflexes de classe, des droits du plus fort, une ennemie des ouvriers, des pauvres, une ennemie de son passé, de ses origines modestes, de la tourbe d’où elle venait… »(p.118)
Si Marcel Proust est à la recherche du temps perdu, lui comme il le dit poétiquement, nous fait entrer à « l’intérieur du temps », celui des êtres aimés, le sien, le nôtre parfois quand ses souvenirs croisent les nôtres.
« Les jours où le ciel est couvert, l’abri des arbres se transforme en refuge au cœur de la ville, au cœur du monde, au cœur de la vie. Il y règne une odeur de terre, une atmosphère étrange comme si on était entré à l’intérieur du temps. »(p.131-132)
Nous entrons aussi avec lui dans un temps qui rappelle les toiles de Monet et les vergers de Van Gogh, on retrouve dans ses descriptions l’atmosphère qui se dégage des toiles de ces maîtres.
L’écriture, précise et poétique, est née de ces sensations éprouvées dans l’enfance ; l’enfance ce temps de la contemplation où le futur écrivain, poète : « interroge le mystère de l’univers » (p.41).
Un beau texte, qui fait œuvre de mémoire : « je découvrais qu’au cœur du présent, une grâce donnait à l’existence sa dimension humaine : la mémoire. ». Une mémoire, qui n’est pas sans rappeler un poète que Christian Bulting aime : René Guy Cadou. Les souvenirs de ce récit s’accordent à certains de ses vers : « Odeurs des pluies de mon enfance/Derniers soleils de la saison/À sept ans comme il faisait bon… »( R G Cadou)
Christian Bulting rend un très bel hommage aux êtres qui l’ont aimé et qui l’ont quitté, ses mots les font alors revivre et c’est tout le don de l’écrivain que de faire du passé, un présent qui se prolonge à la lumière des sentiments encore vifs.
Ce que nous confirment bien les derniers mots du livre :
« L’existence d’un être ne peut se révéler que dans les mots. Au –delà des clichés. Dans la lumière de la mémoire. »
GHISLAINE LEJARD
Plus d'infos : http://ghislainelejard.blogspot.fr/
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Christian BULTINGÉcrivain Christian Bulting est né en 1953 à Guérande (44). Professeur de philosophie dans un lycée agricole, il vit à Orvault près de Nantes. En 1979, il fonde la revue et les éditions À contre-silence (54 publications entre 1979 et 2000). |