Matines.
De l'arroseur automatique jaillit l’été. Une laverie patiente mille révolutions. Plus loin un balayeur pousse un peu de temps. Enfin je le suppose, depuis mon lit, plus exactement les quarante centimètres de largeur qui m’ont été alloués cette nuit.
Les volets serrent encore l’obscurité. L’appartement figé dans nos mains liées. Le radiateur ne chauffe que lui-même. Au réveil j’ai éternué mes rêves. Mes yeux conseillent la fermeture définitive. Tes mains attendent le réveil en prenant des poses.
Tu m’avais demandé que je te viole dans ton sommeil, non, décidément je n’en ai pas envie, non c'est non.
Chemises éventrées au sol, je te soupçonne de les avoir souillées de ton sang en sortant trop hâtivement de la salle de bains.
Moustique, fantôme sans trêve de la chambre. Ivre de mon sang il s’enfuit vers des cimes inespérées.
Les ombres pillent la rue avant que le jour ne vienne. Bancs vernis d’ennui. Paris dort sous Seine. Cinq heures, trois personnes dans le quartier, je n’ai plus de place.
Elles ont beau être accusées de saleté, les poubelles ne sortent jamais sans préservatif.
Je lis l’histoire du monde sur une feuille d’arbre. Les immeubles en ont plein les pattes. Clochards à terre, la liberté est trop lourde. Les vitrines voudraient rougir de leur nudité.
Le matin ne s'est pas encore essuyé. L’aube s'élance péniblement de flaque en flaque. Partout des corps cachés sous des couettes. Les ponts s'imbriquent encore de sommeil.
Les ombres étirent leur réveil. De petits enfants s’enfuient sous elles. Deux vieux approchent, rocher qui s’effrite le long du trottoir. Les passants naissent et meurent à dix mètres de moi. Mes yeux brûlent de femmes si tôt. C’est qu'elles embêtent les rues, si tôt !
Je cherche les trottoirs hors de la prétention du soleil. Les bourgeons snobent les feuilles mortes. Je sors à l'heure où même les mendiants ne travaillent pas. J’avance parmi le hold-up des arbres. Un touriste leur décrit les grandes forêts qui existent loin au-delà de la ville.
Notre-Dame est ceinte d'une fortification d’appareils photos. Je réfugie mon silence dans les ruelles.
Le matin appartient à l’été.
Six heures, les balayeurs s’écoulent sur les trottoirs en guise de rosée. Des femmes de ménage noires attendent seules aux arrêts de bus. Quelques débris criards de la nuit s'agitent au fond des boulevards. Les immeubles récents rejoignent le silence des vieux hôtels particuliers. Les coureurs solitaires veillent sur chaque quartier du petit matin. Ils gardent les rues qui ont peur du silence.
Les chiens en laisse essaient de ne pas en croiser d'autres pour se donner l'illusion qu'ils sont les seuls maîtres. S'ils tombent sur un congénère ils se mettent à aboyer comme s'ils étaient pris par surprise, qu'ils n'avaient pas senti l'autre clébard venir à un kilomètre de là. Eux et leurs maîtres s'étonnent de mon apathie, ils viennent la renifler de plus près les yeux exorbités, étonnés par mon corps réveillé et sans raison d’être si tôt le matin.
Des vélos contre la grille d’un jardin font des cauchemars qui tournent en rond. Les libertés livrent leurs derniers combats dans les jardins. Clochards, enfants, derniers bastions de la liberté.
Je pars à la poursuite de la Seine qui fuit la France.
Une vaguelette naît et meurt en même temps, dans l’espoir d’un peu plus d’existence elle multiplie les résurrections.
Aujourd'hui je remarque qu'à l'entrée même des métros est affichée sur un petit écran dans combien de temps arrive le prochain métro. Je suis piégé, maintenant à chaque fois que j’y descendrai je regarderai ce petit écran, je ne pourrai pas y échapper.
Monde lisse, sans hasard, remodelé pour les hauts talons. Plus personne ne pourra tomber.
L’Arc de triomphe est assiégé de voitures. Il n’est plus qu'un abri contre la pluie. Quatre soldats pour garder l’histoire. Parmi tous les conducteurs qui sont passés par l'Étoile, combien connaissent ne serait-ce que la bataille d'Austerlitz ?
Les places sont les lieux de rencontre des immeubles. Ils sont timides, laissons-les se rapprocher un peu plus.
Pas d’histoire pas d’amour mais la lente fuite des jours. J’approfondis les boulevards dans la dislocation des âmes. Mon corps vide de contraintes échoue dans un café. Nouvelle saison, la nature veut que nous nous souvenions d’elle.
Il est un genre de vieux de jardins et de cafés (ce sont souvent les mêmes personnes) qui passent leur journée à appeler des connaissances lointaines, pas leurs proches car ils les ont trop épuisés. Ils parlent des voyages qu'ils ont fait, ils reviennent toujours tout juste de voyage, et en prévoient un autre. Ils ne peuvent appeler sans avoir un auditoire d’inconnus.