La lune perchée
La nuit tu marches
tu entends tes pas claqués
sonores comme talons
ils résonnent dans les tunnels
les pas
les élans
tu serres quand même ton corps
tu te récites des poèmes
tu cherches l’odeur qui te rappelle ta grand-mère
ce jour où un soir tu as ouvert la fenêtre de la cuisine
et pour la première fois tu as senti l’odeur de la nuit
tu te souviens de ta grand-mère car tu étais chez elle
au sixième étage
vue sur le square
où tu avais toujours l’impression de voir des formes bizarres
tu ne reconnaissais même plus le bac à sable
les arbres changeaient de couleur ils ressemblaient à des hommes
les bancs parlaient tout seuls
Mon corps devient rapide
un retour une pulsation battement oisillon
un froid à fuir transperce le pantalon
des bruits à apprivoiser
Je n’ai pas envie de rencontrer un vampire
ni la bête des villes
elle rôde et se promène avec une hotte pleine de mauvaises surprises
dompter le silence comme un fusil porté à l’épaule
Regards qui entendent loin
oreilles qui voient près
circulaire toujours
la vue dans le noir
des kilomètres de nuit
des visions
des films
des idées
des fumées blanches
brouillards
broussailles
boue invisible juste une sensation de glissement
vide personne
Arrivent des feux de route inquiétants
qui est au volant
peur d'un arrêt
les yeux de chats à l’affût
les oreilles montent la garde
elles réagissent plus vite que le hérisson
L’odeur de la pluie remonte
quand le frais et le chaud se mélangent
la lune t’envoie ses rayons
tu penses au sabre laser de ton fils
le corps lumineux
tu arrives chez toi
c’est ton thriller de minuit
***
Ma nature
Coincés entre route nationale et zone commerciale
les bus traversent les bus transportent
des paysages aux yeux station météo
vue sur les bouchons les fumées
sur auto-stoppeurs coincés avec pour seul phare
un château d’eau planté au loin
au fond de chacun les images de la nature
les mots du ciel de l'arbre et de la terre
des saisons flamboyantes ou blanches
des soleils ardents ou déclinants
de la mer inspiratrice de son sable
de ses vagues de son scintillement
de son humeur océane capricieuse soumise aux tempêtes
pour parler de soi au monde
de ses états d'âme mouvants
un grand fantasme ou un grand carnaval
le lieu de naissance
le lieu de vie
le lieu dans la peau que l'on n’a pas choisi
les premières années de nos pas
sur le bitume dans le béton armé
les premiers mots voitures pompiers bus police avion train
les premiers jeux au petit square
trois balançoires se battent en duel
un tourniquet tagué
au mieux une araignée
une petite maison transformée à ses heures
en local à joints barbecues beuveries quand les enfants sont rentrés
square au milieu des immeubles
square au revêtement anti-casse de bras
anti-dérapant de jeunesse
pleins d'enfants quelques parents sur un banc
tous les autres au stade
les mamans assises couvertures goûter autour des lignes de courses de la rampe
au bord du terrain de foot
près des paniers de baskets des crêpes dans leurs filets et des mots fleuves dans leur langue
Roller vélo squat sous la rampe des petits
quand des grands fument le narguilé
petits jouent avec les petits cailloux
les petits bouts de tickets de métro
les petits bouts de tabac petit tas de sable
sauts de capoeira et acrobaties
le bitume grosses croûtes au genou
gadins ça pique ça saigne
peau rappée collants troués
vitesse sortie de quartier
sortie de résidence sortie de stade
sans les parents qui regardent
ils sont là-haut dans l'appartement
jeux d'enfance pas cabanes dans les arbres
sonner aux portes du rez-de-chaussée
partir en courant
repérer les portes généreuses et vendre des petites poteries faites à l'appartement
avec le cadeau anniversaire du frère
seule activité qui l'éveille
dire qu'elles sont faites par des enfants aveugles les vendre pour une association
ils font semblant d'y croire
ils donnent petites pièces
partir à la boulangerie acheter les bonbons avec les sous
parfois vouloir voler un paquet au petit supermarché et penser que sortir à plat ventre c'est plus discret
se faire attraper
naïveté à faire rire
Trouver des caddies comme on voit
des hermines des chevaux des vaches
jouer avec dans les parkings
pousser courir foncer
voir la vie en grand dans son bruit de ferraille
et son air de no man's land
l'aimer dans ses barreaux et sa petite place rouge
celle qui ne laisse plus passer les jambes
packs d'eau de bière ont pris la place
caddie urbain au pied des tours
plus facile de porter les courses
quand on a pas de voiture
ça c'était quand ils étaient pas esclaves
attachés les uns aux autres en file indienne
Apprendre la campagne du silence
le bruit d'une chèvre sur un CD
le son d'une vague sur un CD
voir un cheval à la télé
apprendre à l'école
que le lait vient de la vache
et pas d'une brique
les briques le gris les papiers gras
les capsules de bière
les débris les tas d'objets cassés
télés crevées meubles aux portes défoncées
vieux sèche-linges éventrés moteur retiré après chirurgie de son propriétaire
étendoirs à linge désarticulés
poupées déchirées ficelles câbles
vieille poussette sans roues
tapis effilés ajourés
cages d'escaliers peau de léopard
odeurs de shit de riz de menthe
les quelques arbres juste pour l'ombre
pour se dire y'a un peu de vert quand même
et pour la couleur des stores aux rideaux déchirés
orange volants au vent
ma nature mon cœur qui bat
***
Tu y crois toi
aux bleus glacés au ciel givré
aux herbes cristallisées
aux espaces rapprochés aux temps différents
aux vieillesses simultanées
aux crustacés dans la roche
aux images de ma caboche
au fluor sur mes ongles
et si mon fils devenait plus vieux que moi
en quelques secondes il prend trente ans
quand pour moi seule une minute est passée
tu y crois
la terre est ronde
elle tourne
tu ne le sens pas
tu ne le vois
tu tournes juste en toi-même
où que tu ailles
une tête ronde
quel soleil pour toi
quelle distance entre
toi et la lune
entre moi et toi
quelle vitesse de la lumière quand il fait jour
quand il fait nuit
poète chimiste astro-physicien
autour des mots invisibles
révolution de ses planètes
à la vitesse de la lumière
son temps est très vite
ou très lent
il vieillit moins vite que
ses enfants
flocon sur son nez
il croise les directions
brûle d'émotions
il ne connaît plus
le zéro et la virgule
sa science est un jardin
des jardins
sous ses yeux
sa gorge cavale l'espace
sa cheminée laisse partir
une fumée
comme coiffe de mariée
qui court dans la rue en fuite
de son mariage
ou de magicienne trop magicienne
qu'on poursuit pour la faire taire
ou d'enfant déguisée
tellement bien avec sa voilette
qu'elle veut dormir avec
elle se voit de loin
du royaume des poussières
ALINE RECOURA
Elle se présente :
Éprise d'écriture et de littérature très tôt, je poursuis un cursus littéraire puis m'oriente et deviens libraire. Éprise de liberté je deviens professeur des écoles tout en poursuivant ma passion pour la poésie.
En 2019 je participe à la création du collectif les Déméninges tout en poursuivant ma passion de l'écriture poétique. Nous préparons un spectacle.
Publication dans des anthologies : Slam, éditions Nathan, On dit cap et Ad vitam Eternam coordonnée par Romain Suerte édition SelaProd.
Contribution à la revue numérique Lichen
Hors-série numérique 6 de la revue Cabaret, 40 jours 40 vies
Aux éditions LTA, Les masques en boites d’œufs, les bouchons, les allumettes.