Lors de ma visite initiale, je fus surpris de découvrir l’existence d’un marché oriental. Je me suis depuis habitué. On peut le contempler après avoir dépassé une rangée de gourbis érodés, dont l’ocre des murs peine à rutiler comme un vieil or. Des levantins, vêtus de longues robes rayées, s’activent derrière des étals chargés de fruits, tandis que d’autres se tiennent immobiles devant de hautes jarres pleines d’olives. Des femmes restent assises un peu à l’écart de batteries de poteries regorgeant de poudres colorées.
Les denrées sont abondantes. Une eau pure est abordable à la margelle d’un puits ancestral. Des palmiers, plantés autour du cercle de l’oasis, offrent leur ombre. Quelques tentes, érigées çà et là à proximité de la relative fraîcheur de la mare, laissent béant le panneau de leur entrée afin que l’on puisse admirer ou envier les coussins brodés et les couches confortables qui jonchent de larges tapis déroulés.
Les marchands se perdent en d’infinies palabres pour vanter la qualité et le prix de leur safran, de leur cannelle ou de leurs oranges, mais aucun client n’arpente ces travées parfumées. Personne ne flâne au long de cet espace enchanteur.
Ils sont les Venteux. Je peux les voir mais demeure invisible à leurs yeux. Toute leur existence est composée de souffles et d’échos. Ils ont erré trop longtemps. Le mirage de leur caravane sombra avec le soleil d’un seul soir dans un fleuve si profond qu’il effraie les mages. Ils n’ont pas su ou pu se préserver du pouvoir du sable avec quoi l’on fait le verre des miroirs. Retenus à l’envers de ceux-ci, revenir sur leurs pas s’avère pour eux chose impossible. Aucun erg ne conserve leurs traces mouvantes. Ils sont les Venteux, je le sais. Un vieillard m’enseigna leur histoire. A mon arrivée, lové dans un tissu blanc, il somnolait au pied du mausolée de terre sèche situé à l’entrée du marché. A moins que ce ne fut une ombre murmurante.
In : La Rue Jaune
Extrait du recueil Trajectoires tronquées © mai 2020 éditions Stellamaris
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Deux extraits inédits (quatrains) d’un recueil en cours de composition :
Nous enseigne ce soudain silence
L’évidence de tant de présence
Depuis le vent jusqu’aux oiseaux
Notre intime terreur d’être au monde
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Que voient tes yeux clos de la mort
Tes yeux grands ouverts sur l’amour
L’espoir ou le leurre au miroir
Ou tous ces yeux qui te regardent
© 2020 Gérard Le Goff
GÉRARD LE GOFF
Il se présente :
Gérard Le Goff travaille la prose (roman, nouvelles), la poésie, le dessin et la peinture. Pour en savoir plus, voir son site :
Gérard Le Goff : Amers & compas,
https://gerardle-goff4.wixsite.com/monsite
Plus d'infos :
https://editionsstellamaris.blogspot.com/2020/05/trajectoires-tronquees.html