Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - ROBERTO SAN GEROTEO

Publié par Le Capital des Mots sur 27 Mai 2020, 11:36am

Catégories : #poèmes

RÉSISTANCE     

       

Quand je fume tard dans la nuit

je reviens vers vous à l'époque

où nous avons appris à démêler le vrai du faux

question ou sentiment de fraternité

liée à la lutte à l'écoute du silence

propre à chacun(e)

parole singulière passant de l'un en l'autre

rétive à l'oubli

utopie pure et simple

ou est-ce encore la nostalgie

l'anesthésie sur les épaules de la vieille veille.

 

Il me faut du feu sur les mains

la rumeur de la marée

du sable dans les poches

de l'air dans la tête

un brin d'herbe entre les dents

et tout autour cette terre lumineuse

farcie avec nos morts sans autre forme de procès.  

 

Et la fidèle ornière de ces chemins qui finissaient chez toi

et que tu viennes encore même en traîneau

jusqu'ici à travers ta vie.

Ou nous retrouver là-bas

dans cette ville alors insurgée qui nous a réunis

ces villages le soir en marge de l'Histoire

les gares désertes désaffectées

où nous avons erré

sans plus jamais nous rencontrer.   

 

Maintenant il doit faire jour

une fois n'est pas coutume

quitter ces hardes sans quitter cette paillasse

et les lancer le plus loin possible

comme de vieilles peaux après la mue

(sauf qu'au réveil je les remets).

Et de la bougie en phase terminale

tombent en silence les derniers pétales. 

 

 

  (janvier 2020)

 

***

 

 

UN DOIGT DANS LE DEUIL           

 

Tomas Salvador Gonzalez, Javier Insausti, siempre.             

Cuando muere un amigo/(a veces son dos seguidos)/viene a rondarte la muerte/y a lamerte/para que no llores/y apurar las entrañas.

 

Quand un ami meurt

(parfois il y en a deux de suite)

la mort vient rôder

te lécher

pour t'éviter de pleurer

épurer tes entrailles.

Le lendemain les sourcils te font mal

des yeux dépareillés t'ont poussé.

Comme il faut marcher encore et encore

avec ce même regard asymétrique

tu cherches

une canne ou des béquilles oubliées.

Tu erres dans les rues habituelles

tu as beau dire quelque chose cloche

c'est la conversation.       

 

 

(poème écrit d’abord en castillan, 19 juin 2019).

 

 

***

 

PLEINE LUNE      

 

A Nour, à Kiko, et à tous les autres, quand ils et elles auront toutes leurs dents et toutes leurs illusions. Et la parole.   

 

                

Dans le champ d'à côté c'est la moisson.

Là sur l'eau le ballet des hirondelles.

C'est l'heure de la sieste

d'une insurrection planétaire

à réveiller les morts.

 

Les soeurs Marx et leurs fiancés communards

prennent le thé, Jenny fait le service,

Piotr et Mohandas jouent aux échecs,

Ernesto offre un cigare à Mikhail,

Louise et Rosa bras-dessus bras-dessous,

Emiliano hisse Angela sur un cheval blanc,

Otelo et Buenaventura en grande conversation,

Nelson et Pepe se font des passes du pied gauche,

Geronimo danse avec Simone,

tandis que Gaston chante à Serge et à Panait un air du pays

passe le gros Walter l'homme à la serviette noire

au bras de Georg et de Dora

et bien d'autres encore tout aussi singuliers.

 

Ils sont tous là tranquilles

leurs présences et notre silence ne font qu'un

le courant est fluide il coule dans nos veines

la terre respire d'un pôle à l'autre

personne ne travaille sauf le soleil la lune les nuages les mers la banquise.

L'argent est aboli.

On berce un enfant lors de la promenade

le vent doucement nous accompagne à la rivière

elle a guéri

enfin le rêve est accompli. 

 

(Taurines le 15-08- 2019.)

 

***

 

 

EN HOMMAGE A ROBERT FRANK 

 

J'étais en train de traire une orange à jus

quand le téléphone a sonné

c'était Pipa

elle avait repris sa voix de pipeau adolescente

pour me dire quelque chose de dur à avaler :

Ha muerto Tomas.

J'ai essayé de ne pas faire fausse route

et mes yeux sont tombés

sur cette photo en noir et blanc

avec Mary Andrea et Pablo

le nez collé à la vitre de la voiture

entre deux autres en couleur de Lulu en Amérique

souriante et alitée accroupie à l'ombre.

Et je suis resté là à regarder sans rien voir.

Après je suis sorti

et quand il a fallu parler

chaque parole arrachée avait un goût de sang

et de mensonge.       

 

   (13-09-2019)

 

 

ROBERTO SAN GEROTEO 

 

Il se présente : 

 

Roberto San Geroteo (1951) a pris part à la lutte contre la dictature franquiste à Rennes, sa ville natale, où s'étaient exilés ses parents, puis à Valladolid où il a enseigné le francais à l'université ; par la suite il a enseigné le castillan dans les Ardennes, au Havre et à Paris.

A traduit de nombreux poètes francais, dont Bernard Noël, et de très nombreux hispanophones, dont Emilio Prados et Antonio Gamoneda, notamment dans la revue Noire et Blanche (Charleville puis Le Havre, 1994-1998).

A publié entre autres : La lengua de la quimera, ediciones portuguesas, 1989 ; La solitude du tournesol, Au fil du temps 1999 ; La palabra de un hombre, trad. Miguel Casado, Icaria Poesia, Barcelona 1999 ; Gens de la nuit et Nocturnes, Encres vives 2004 et 2011 ; La machine à se souvenir, À L'Index, coll. Empreintes 2011 ; Je t'emmènerai en enfance/Matin au corbeau, coll. de L'Umbo 2012 ; El fuego hace su trabajo, éd. bilingue, trad. Miguel Casado, colección Transatlántica, ediciones Amargord, Madrid 2017.

À paraître : Le Havre de Grâce fin du monde an 03-04 et Un caillou dans la bouche, À L'Index, coll. Plaquettes.

 

 Article d’El País sur le recueil-somme, paru en Espagne (mais disponible sur sites divers ici). Amargord, 2017, 219 pages.

https://elpais.com/cultura/2017/12/05/babelia/1512499785_016356.html

 

 

« El fuego hace su trabajo » (Le feu fait son travail…). Roberto San Geroteo.  Amargord, 2017. - DR

« El fuego hace su trabajo » (Le feu fait son travail…). Roberto San Geroteo. Amargord, 2017. - DR

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M
"Et de la bougie en phase terminale<br /> <br /> tombent en silence les derniers pétales. "
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