Saisir
La joie ansée, pour sûr, si prête à s’étreindre,
Pas moins à portée que l’eau douce
Quand la musique intime est trouvée, oui, la cadence
Qu’il faut à nos corps pour aller au-devant
Du plaisir et de tout ce qui fait l’effervescence.
Un tempo qui agrée, sans corset ni dérèglement.
Imagine un éclat recueilli sur ta paume.
Tu veux un autre symbole ? Imagine un poisson pêché
Qui se débat dans tes mains puis s’apaise
(C’est la mort ici décrite) et se soumet à ta force.
Alors, tu le déposes dans la nasse ; et de frétiller
À palpitation ultime, il ferme les yeux sur toi.
À ton tour, saisis matière brusque (un papillon,
Un mulot, un toton tournoyant sur une table inégale,
Un scintillement d’aurore verte, un sursaut,
Un œuf qui se fendille, oh retiens cette image
Qui promet plus que le roulis, les aveux abrupts),
Prends au monde, ainsi qu’on arrache du lierre,
Un fragment qui a vocation de foison
Puis ouvre et œuvre : entends, entends, entends
Ma voix brutale mais bienveillante.
Trouve une pulsation.
Trouve une endurance.
Trouve une mort à tes monstres.
Toi qui, l’été, la nuit, tremblais d’effroi face à la nuit,
Cherche en toi l’autre feu, non celui qui dévoie
Mais dévoue, un clairon de cérémonie douce,
Un collier pour conjurer la colère et le hasard triste,
Un gant pour caresser la huitième clarté,
Et un rayon dans ma main pour explorer les gouffres !
***
Futur
Si me vient à la bouche un goût de ciel
(Où ma voix deviendrait potentiel d’étoiles) ;
Si surgit dans un cri, une émeute intérieure
Longtemps réprimée, ce lyrisme de rage,
Quand le réel, tout le réel paraît compressible
Sans dérision, défi ou bravade ivre,
Irrépressible sur ma paume ;
Si affleure (et déjà il n’est plus à affleurer)
Ce volcan dans ma tempe, offert et dicible
(Oui, retiens qu’aucun feu ne cherche une cache
Ni le poète hurle en secret dans la plaine) ;
Si au ruisseau de ma gorge a remonté
Ni l’épine ou l’épée mais ce fleuve
Rassembleur de mon sang, des éblouissements d’enfance
Ou tardifs, de la blessure amoindrie par le temps
Ou celle, au-delà des années, inguérissable ;
Si ce loup a sauté à mes lèvres
Sans patienter pour sa meute
Et si avant l’été, le printemps fut l’été
En conjurateur des soleils sobres ;
Pour publier chaque élan, envol, sursaut de rêve,
Irruption d’ange immense, éveil au cristal,
Faim d’un voyage interstellaire, introduction aux sèves,
Couvées d’insolence, utopies en déploiement
Et concrétisations de la quête,
Je crierai tout l’incendie intérieur.
***
Pour le péril
Je vais confiant au jour aiguisé de rayons
Et comme on dit familier le soir « à la fraîche »,
J’y vais à la lucide ! Amusé du lucane
Qui court sur ma paume en serrant ses pinces,
Je vais heureux d’instinct à la vie hérissée.
Chuter n’est pas l’envie. C’est un ciel qui me pousse
Vers le ravin ou la forêt criblée de fosses,
C’est un œil souriant qui me ramène à la ruche
Et fait de moi le contemplateur des abeilles,
C’est un lys qui m’ouvre à la pensée des fous,
C’est un chien d’or qui me guide au puits de la Goule
Et c’est un roi couronné de pissenlits
Qui me livre à sa plus jeune armée.
Il faut un cobra dans la maison. Sans doute
La neige est fautive de son blanc
Et l’épure a cinq cents profils effrayants.
L’austérité (écoute, ami de ces pages)
Brandit les boucliers froids du prestige
Mais elle est la carcasse écartelée des peureux.
GABRIEL ZIMMERMANN
Né en 1979 à Saint-Germain-en-Laye, Gabriel Zimmermann est professeur de lettres dans un lycée général et technologique ainsi que dans un collège spécialisé. Il s’illustre dans différents genres littéraires : poésie, récits, chroniques sur la société contemporaine, théâtre. Il est actuellement en train d’achever un conte aux frontières du merveilleux et de l’épopée initiatique, Le Nouvel an.