Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - STÈVE-WILIFRID MOUNGUENGUI

Publié par Le Capital des Mots sur 24 Août 2017, 17:41pm

Catégories : #poèmes

 

Sur l’autre rivage de la nuit, mes Trois Grâces vous me hélez à mesure que s’étend la terre de l'oubli. Regarde, comme battent dans le silence noir les ailes stridentes des corbeaux. Leur chant, un avant-deuil au seuil du crépuscule. Dans les plaines de ma mémoire les feux brûlants de la saison sèche et l’épaisseur étouffante de vastes fumées touffues qui se mêlent aux nuages. Debout dans mon silence émerveillé par les flammes qui brûlent et qui fécondent la terre. Les cendres dans mes yeux d’enfants devant le geste ancien. C’était le temps des champs, des champs de ma grand-mère défrichés au cœur de l’été. Le monde des anciens brûlait alors sous mes yeux et ceux de mes frères que la modernité happait déjà. Et, en nous brûlaient d’autres feux, hélas! Ainsi commençait l’oubli dans l’émerveillement de notre présence au monde. Le rite ancien sous nos yeux hallucinés. De ce monde, il fallait partir bientôt. La nuit étalait son épaisseur entre le rite et nous.

 

 

Partir au matin de rosée

Parmi les herbes mouillées

Le cri mourant des cigales

 

Et toi, tu m’invitais au monde, par une après-midi ensoleillée. Les hauts palmiers de l’hôpital colonial brûlaient sous le soleil de décembre. Leur ombre tutélaire offrait ombrage aux toits. C'était le temps des promesses.

Vous n’avez fait monument qu’en moi. Et vos fragiles visages en sourire. Et ta complainte ne chante plus que dans le souvenir de ma mémoire. Si je devais mourir dans l’instant.

 

Ton chant se perdrait

Comme le soleil au fond de la nuit

Dans le murmure de l’aube

Nous étions heureux.

 

Riches de ton sourire et la lumière de l’étoile dans la nuit autour du foyer à trois pierres où brûlait la braise ardente de nourriture et de rêves innocents. Tu étais là, de ce côté de la nuit au cœur de tes enfants. Dans chacun de tes bras brûlait un amour infini. Dans chacun de tes gestes une nourriture pour nos corps et nos âmes. Au cœur de l’été, le vent frais sur nos corps nus caressés par les radiations ardentes. C’était l’instant, l’heureux instant dans la douceur estivale.

 

L’autre rivage de la nuit

Où tu te tiens dans mon rêve

Par-delà le silence

J’entends que monte l’oubli

Avec le fleuve en crue

Tes bras ouverts en attente

Et je meurs dans ma course

Ma voix ligotée se noie

 

 

(…...) Si je te reviens par un matin d’émeraude, du côté du Nord, me reconnaîtras-tu ? Partout la ville a poussé en moi, ses immeubles comme des arbres, et son désert aride s’est étendu. En moi, tu es telle qu’aux premiers jours de l’enfance. Tu m’apparais avec tes palmiers figés et les branches calcifiées des manguiers, immobile comme une nature morte dans un tableau de maître où souffle un vent mort et triste. Je suis parti, comme Ulysse parti vers le lointain. Poussé, toujours poussé par mes rêves.  Et je t’ai emporté partout avec moi puisque je ne pouvais rester avec toi sans flétrir. Partir sans toi, c’était mourir. T’emporter avec moi c’était courir dans une rêverie au milieu de tes paysages, de tes rives de pierre, de sable et de mangrove, de tes plaines figées dans ma mémoire.

 

 

 

Ô ma nuit de pierre et de rêves

Mains trouées d'où fuit l'eau des songes

Qu’aurons-nous gardé en nous

Les piliers de la terre gisent

Et nos âmes s'effondrent

Les lavandières ont quitté nos berges

Partout croit l’oubli et le silence

 

 

 

L’autre rivage de la nuit, extraits

 

 

***

 

 

 

Je charrie des nuits
Dans le fleuve de mon âme
Et les chimères de la montagne
M'appellent telle une mère défunte
***
Tant de foi brûlaient encore
Dans nos mains d'amour
Et du fond de l'aurore fragiles
Naissaient la voix affaiblie de l'espoir

***

J'ai vu boire aux rivières
Tant de rêves chétifs  
Dans leurs mains lacérées
Des cendres de leur foi

***

Au pied des falaises d'albâtre
J'ai dénoué la lumière d'or
Que les rayons avaient tressée
Dans le champ de tes cheveux

****

Longtemps je n'étais qu'un rêve
Perdu sur un rivage
Avant  ton rire et tes mains d'amour

 

 

 


Extrait du recueil, J’irai te retrouver dans tes songes d’aurore, inédit

 

***


J'écris

 

 

J’écris pour te dire

Ce qu’étaient nos rêves

L’épaisseur du silence

Cette pluie sur la paume

Aride de mes mains

****

J’écris dans la lassitude

D’un rêve qui s’éteint

D’une nuit qui se lève

De mains tendues au ciel

***

J'écris pour toi
Te dire que nous n'étions
Pas que des migrants
Nous portions des rêves
Sous le fardeau des jours
***

J'écris au bord de l'oubli
Ses eaux contre la falaise
L'appel lancinant de son vide
****

J'écris sur l'archipel

Des souvenirs

Quand monte la mer de l'oubli



Extrait du recueil, J’écris sur la Péninsule d’un songe, inédit.

 

 

***

J’arriverai avec les bras chargés de pluie

 

 

J'arriverai parmi les vents
Un jour couvé de soleils
Le jour sera à son midi
J'arriverai les bras chargés de pluie
Et dans mon âme je ferai taire la terreur

De ces longues nuit blanches d'absence
D'absences fébriles au cœur aigre des hivers
J'arriverai comme un fils
J'arriverai comme un frère
Un fils mort de votre mort
Un frère absent de vos absences
Et des prières
Et des prières pour apaiser vos cœurs

Et mon cœur plein de votre vide
Et toi dont je suis le fils me diras-tu
Me diras-tu comme dans un rêve
Que la marche est finie
Qu'il pleut dans désert
Que la moisson arrive après pérégrinations
Et me diras-tu que tu es ma terre
Le pays du retour
Le pays pour mourir enfin


 

 

Extrait du recueil, En attendant l’orage et l’oubli, Inédit.
 


STÈVE-WILIFRID MOUNGUENGUI 


 

Il se présente :

Faire l’expérience de l’exil ouvre en soi une brèche, l’errance. Là où en moi une césure s’est installée, l’écriture surgit comme un fil d’Ariane. Elle est l’Isis qui rassemble le corps démembré. Je suis né sur les bords d’un fleuve au cœur de l’Afrique équatoriale. C’est sur ses rives qu’est né mon désir d’écrire. Ici, sur les bords de Seine, ce désir est devenu, plus fort, nécessaire. Mon poème est en quelque sorte, la nef de mes songes où je navigue sur les rivages d’Antan. Par sa force je peux étreindre les visages absents et maintenir vivant ce monde qui meurt en moi à mesure que l’oubli s’étend. J’écris pour ne pas mourir. Pour que ne meurt pas en moi la terre, ses parfums, ses couleurs. Je m’écris parce que dans cet exil, le poème me permet d’habiter ce que je suis. Un homme né là-bas et qui se nourrit d’ici, s’étoffe, s’épaissit en terre de France. Et même si je suis traversé du sentiment étrange d’étrangeté, je suis un archipel et le poème est l’étendue où demeure mon errance.

 

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