Avant l'aube
“Petit pays de paroles, sans encre” Thierry Metz
Le silence peut-être
un piège mortel surtout
qui efface jusqu'à l'ombre
de la bien-aimée
nie les arpèges
accumulées dans la gorge
du rossignol
détrôné en automne
par le verbe lourd
des corbeaux ventriloques
Du dehors au dedans
sont venus les mots
par phrases sans suite
qu'il fallut lier au chant
avec de l'argile et des herbes
avec des songes tristes
des absences sous la lampe
jusqu'à ce que peut-être
une figure se précise
née d'une parole perdue.
***
La douce loi des genres
“reste là dans ta forme première mais
changeante pour chaque passion.” Jean-Pierre Duprey
Tes seins mon amour
ton regard provocant
tes baisers écarlates
tes hanches tes épaules
mon amour
tes fesses ta danse du ventre
tes reins insurgés
tes champs tes bosquets
ta sente serpentante
mon amour
Ton sexe débridé
tes coups de griffes
ton clitoris électrifié
tes murmures tes cris
ta rivière profonde
où je me noie
mon amour
sous un ciel d'extase
ton impatience
ta respiration haletante
ton ventre arc-bouté
ta beauté écorchée
de caresses acérées
mon amour
tes gestes fous ton délire
tes jambes de jument solaire
ruant entre des barbelés
entre lesquelles
je rejoins la foudre
ton coeur battant les tambours
de l'amour mon amour
ta bouche de clown tragique
balbutiante douloureuse
tes yeux en pleurs
qui m'arrachent à moi-même mon amour
ta vie écartelée
sur la roue caressante
d'un soleil attendri
***
Le jeu des questions
« Bouche, anus. Sphincters. Muscles ronds fermant not’tube.
L’ouverture et la fermeture de la parole. » Valère Novarina
Quoi! le bonheur?
C'est un chien aveugle
qui renifle le cul des hommes
comment dire enfin
l'anxiété où se consume le coeur
le murmure angoissant des veines
et la neige carbonique de la douleur
comment dire en gardant les lèvres closes
dans le silence avorté des limbes
dorment des animaux détraqués
des horizons sans issues voguent
derrière les grillages des regards
Comment répondre
à cette part de la nature
qui en nous implore les astres?
Désormais nous regardons
passer les siècles superflus
et la parole se perd
parmi les broussailles sèches
sous des miradors d'acier
Quoi! Le bonheur?
il vous brise les jambes
vous prend en tenaille
du matin au soir
Rentrer en soi-même
dans l'indifférence du fou
qui se cache derrière les mots?
S'acharner dans la nuit
pour interroger ses peurs ?
Mettre au monde
de jolis petits monstres
s'éparpillant au gré des hasards?
Ces trois poèmes sont extraits du recueil “Poèmes volés”, 2017
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Sur le fil du temps
à Tristan Cabral, poète funambule
L'homme tu ne le connaîtras
qu'au bord du chemin
en partageant un repas de mûres
ou bien en titubant d'ivresse
au bord d'un précipice
dont on en voit pas le fond
l'homme jamais comblé
qui t'appelle et te presse
te défie et t'envie
te trahit et t'oublie
il se courbe l'homme
quand il est triste
parfois il demande pardon
mais il est presque toujours trop tard
L'homme tu ne le connaîtras
qu'au bord d'un précipice
acculé par un ennemi invisible
qui n'est autre que toi-même
ou plutôt tu le reconnaîtras
après avoir bousculé sa nuit
comme une étoile filante
traversant rêves et désirs inavoués
il a mal à sa vie l'homme
son silence pèse lourd parfois
et les questions qu'il ressasse
finissent par former des noeuds
dans sa gorge serrée de solitude
où les mots d'amour ne passent plus …
Buenos Aires, le 14 mars 2018
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Aux miens
Je prendrai mon temps tout mon temps
avant de mourir et m'en aller dans un soupir
ma raison ne me sera d'aucun secours
je vous la laisse je vous l'abandonne
à vous mes amis ensoleillés qui êtes restés là-bas
Je n'aurais été pour vous qu'un arc-en-ciel émerveillé
une apparition soudaine entre deux violents orages
A présent je savoure le calme de la marée haute
sans honte ni remords ni regrets je contemple
tout ce qui m'a retenu et réjoui ici-bas
en dépit des craquelures menaçantes sous chacun de mes pas
J'aurai aimé à ma manière cette existence déroutante
dont l'exil permanent ne fut que le plus aimables des maux
qui m'aura permis d'échapper à la curée des hyènes
se disputant les entrailles encore fumantes de mon humble fratrie.
Buenos Aires, le 28 février 2018
ANDRÉ CHENET
André Chenet vit entre Buenos Aires et Paris. Depuis 2006, il publie “Danger Poésie, le premier blog français transformé en revue de poésie (http:/poesiedanger.blogspot.com). En 2004, il a fondé la revue imprimée d'Art et de poésie “La Voix des Autres”. Passeur de poésie, il a organisé de nombreuses rencontres dans le sud-est de la France, à Paris et Buenos Aires. Il a fondé le Festival “Les Fous du Loup” (2012-2016) dans la région niçoise, et en 2018 à Buenos Aires il a organisé avec la poète strasbourgeoise Aurélie Menninger le festival itinérant “Poesia en la piel” (La poésie dans la peau). Il a aussi écrit et interprèté de nombreux spectacles de poésie avec des amis poètes et musiciens.
Ses dernières publications: « Au coeur du cri » (Les Voleurs de Feu éd. - 2010), « Secret poème » (Ed. Chemins de Plume – 2013).A paraître en 2019 : « Mélusine Réenchantée ».
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