Les tiroirs
J’ai chez moi des tiroirs remplis de lettres jamais envoyées
Comme stratifiées dans un espace-temps caché.
J’y règle beaucoup de comptes à mon adversité.
Écrire peut suffire…
Même s’ils sont dans la poubelle
Les mots ainsi sortis de moi
N’ont plus besoin de destinataires.
Dans ma tête ils ont atteint leur but.
C’est étrange pour ces flèches de sens
Que j’ai tirées sur du papier
de tracer leur trajectoire vers l’infini.
Sorties du cadre !
Et moi, délivrée de ces fardeaux
Je peux, ô ironie, à nouveau m’en charger
d’autres …
janvier 2017
***
L’incandescence des départs
Il y a beaucoup de trains qui partent
Il y a beaucoup de femmes ruisselantes
Sur les quais des trains qui s’évaporent
Elles se détournent, les femmes ruisselantes
Pour ne pas voir partir ces trains
Leur cœur se froisse
Leurs mains dessinent des gestes inutiles
Beaux
Leur démarche chancelle, elles tanguent
Puis disparaissent
Il y a parfois aussi des hommes sombres
Noircis par les douleurs d’aimer, pliés
Ils restent immobiles, la tête appuyée
Dans leurs paumes serrées
Et zèbrent, explosent des lueurs folles
En leurs yeux fermés
Il y a des foules impavides à la nausée
Pourtant l’incandescence des départs
Enflamme l’air de feux follets
Feux follets… la mort est là
Qui meurt de rire dans ces lumières de cimetières
Il y a beaucoup de trains évanouis
Il y a beaucoup de cimetières dans les gares
Mémoires calcinées, cendres, larmes de pierre
Il y a beaucoup de femmes ruisselantes, brûlées
Il y a parfois aussi des hommes sombres
Noyés par les douleurs d’aimer, pliés.
mai 2014
***
Mais où passent les corps ?
Mais où passent les corps ?
Hier encore je le sentais, le mien
Aujourd’hui il n’est plus, je ne suis que sa tête
Mais la tête pense le corps et le cherche
Il y a un paysage de brume et d’eau
Et des arbres tordus et sombres qui semblent dans l’air flotter
Enveloppé de nuages et lointain un corps en mouvement
… C’est le mien … Dissociation
Le paysage change Rivage marin de sable
Vagues douces étalées en cadence lente
Une forme ballottée
Regard panoramique
D’autres formes apparaissent
Quelque objet d’un naufrage ?
Le regard s’approche
Des objets ? Non
Des corps d’enfants
D’enfants morts
Morts noyés
Mais où passent les corps ?
Ils vont à la dérive
Dérive du temps qui passe
Dérive de l’horreur
Mais où passent les corps ?
Ils vivent dans nos têtes
Nos têtes insurgées
Nos têtes impuissantes
Mais où passent les corps ?
Ils flottent sur l’Achéron
octobre 2015
***
ANIMALITÉ
"Quand l’homme reconnaîtra de nouveau sa nature animale au plein sens du terme, il pourra créer une culture authentique."
Wilhelm Reich
L’animal en soi sommeille
On le dit
Mais l’animal en moi est éveillé
Je vibre aux odeurs de terre mouillée
Je hume la mer d’aussi loin que le chien hume sa pâtée
Nulle fleur odorante ne passe inaperçue
Ma peau est sensible aux alizés
J’entends la petite vie qui grouille, sable ou gravier
Humus, lichen, pourriture organique
Je vois la douceur tendre du vert des jeunes pousses
Les feuillages éclaboussent ma rétine
Les pétales blancs ou pastel y impriment leur pointillisme
Toute bête qui croise mon chemin me rend l’extase des lointains jours d’avant
D’avant que ne se séparent femmes et femelles
Je froisse entre mes doigts leur pelage doux ou rude ou leurs merveilleuses plumes
La nature dont je suis est l’indicible bonheur où puisent mes racines
Et la puissante attraction des corps est mon vertige d’amour
L’amour, le vrai, celui qui sent la chair comme un capiteux parfum
Celui qui ne craint pas les humeurs liquides et odorantes
Celui qui au contraire peut s’y vautrer sauvagement
Celui qui a connu la force indescriptible et chavirante du désir décliné en ses multiples formes dont celle de l’enfant à naître de celui qu’on aime du fond de ses entrailles
Mais qui est l’animal en moi sinon moi
Mais qu’est-ce une femme ?
28 avril 2017
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Une arme au goût brûlant
En ces temps délétères des paroles coulent, coulent et recouvrent le sang
Mais son odeur persiste et nous laisse tremblants
Mais ce n'est pas la peur, c'est comme une colère
Et la rage de mordre à la vie comme avant...
Ami(e)s allons debout encore lever nos verres
Pour boire à l'unisson et narguer la Faucheuse en riant
Elle n'aime pas les mots et pour nous c'est une arme
Une arme au goût de miel, une arme au goût brûlant..
décembre 2015
NARKI NAL
Elle se présente :
Nicole Cardinali alias Narki Nal
Comme beaucoup, j’ai eu plusieurs vies : enseignante mais scientifique, éditorialiste polémiste dans des journaux associatifs, comédienne puis metteuse en scène … Une constante, l’écriture, qu'elle soit pédagogique, politique, sur mon travail de mise en scène ou depuis très longtemps poétique. Des poèmes tristes ou violents, souvent tragiques, mais je suis une femme qui aime rire !
« En vrai » je suis née deux fois. La deuxième lors de ma participation au Collectif des Diables Bleus dans les années 2000, pendant l’occupation des casernes abandonnées des Chasseurs alpins à Nice. Ma vie y a pris un autre cours dans ce lieu agriculturel de poésie réalisée, d’expositions sans musée, de rencontres et d’échanges, de concerts et spectacles où il n’apparaissait pas étrange de s’occuper de jardins partagés, de distribution de paniers de légumes de producteurs du coin et de monter une pièce de théâtre tout en participant à la cuisine collective, de dire des textes lors de soirées appelées Mardis bleus… Ce lieu n’est plus.
Mais la tradition continue, d’une soirée mensuelle de lecture de textes, ouverte à toutes et à tous, ce que nous appelons « Banquet poétique », dans un lieu modeste mais chaleureux. Banquet de mots et de mets, que j’anime avec mon compagnon et artiste Zacloud, au 29 route de Turin à Nice, lieu nommé « Diables Bleus Le 29 ».