Naguère :
« L'odeur de cette nuit est immense, profonde. »
D'un mouvement de ses ongles, la feuille s'est détachée du bois, comme si elle désirait mourir par cette main.
Les feuilles frêles, mes mains les ont fragmentées. Chaque geste était semblable au déchirement d'un tissu. L'odeur de la sève se répandait dans la nuit. Devenait une mer dont l'amplitude excédait la nuit.
Maintenant : la nuit, chargée de chaleur.
L'air étouffant n'amène aucune odeur à mes narines. Je
questionne : « Pourquoi si peu ?
— C'est sans raison. », prononce une voix
qui n'est pas la mienne car
mes mâchoires douloureuses ne permettent pas que j'émette un mot.
***
Les heures pendant quoi nous attendons, ardents et patients, ne vacillent pas, ne gémissent pas comme ces branches que le moindre souffle de vent fait trembler et bruire — parce que elles sont
immobiles,
silencieuses.
Les heures où nous attendons, ne sont ni opaques ni rugueuses, elles ne sont pas empreintes d'une odeur résineuse tellement âcre et entêtante qu'elle rend ivre — parce que elles sont légères.
Les heures où nous parvenons à oublier, ne sont pas comme ces troncs noueux, pleins de contours — parce que elles sont simples.
Les heures du renoncement se franchissaient en nous, à notre insu, selon un processus plus naturel que la mort.
Fais-nous exhaler notre matière en un soupir d'étincelles et de fumée. Fais de notre corps, des cendres qui deviennent la nuée, de la nuée des souvenirs de la nuée, qui ne deviennent
rien.
Embrase-
nous.
***
Ton visage n'a pas cette ovale dont la régularité me sidérait.
Tes yeux n'ont pas cette netteté qui était comme deux coups de poinçon marqués dans la pierre.
Ta peau n'a pas cette blancheur qui était comme l'ivoire. Elle n'a pas ce poli égal à celui du miroir en quoi se réfléchissaient les silhouettes concaves de nos corps.
Tes cheveux n'ont pas cette noirceur, ni ce parfum qui pénétrait en moi comme une nuée.
Tes ongles n'ont pas ce coupant qui ouvrait mes veines, me donnant une mort tranquille, pleine de chaleur.
Maintenant seule demeure ta présence, seule demeure
la présence, c'est-à-dire :
rien.
***
Tu disais : « Je crois comprendre, mais c'est de la pensée, de la philosophie. Moi, je pensais plutôt à la passion. »
Je dis : « Où est la contradiction ? L'amour fait penser, la pensée rend aimant. Aimer fait chercher la connaissance, la connaissance fait comprendre l'amour.
Psychologie et amour : où serait la séparation ? »
Tu disais : « C'est
possible, c'est bien — jusqu'au moment de l'effacement. Et
au-delà ? Après ? »
Millimètre à millimètre une
lame s'enfonçait entre nos deux cœurs, scindant leur étreinte, creusant-démolissant l'
étreinte : l'
approfondissant, faisant de la vacuité, donc de la
pureté.
Pas une goutte de sang n'en
remonte. Pas
une
goutte.
Pas de jaillissement. Seulement de la sécheresse. Le cœur fait sable
sec, crissant-quartzeux, crissant-meuble, divisé-in-
sécable.
Tu comprenais. Je ne sais pas.
Nos mains ne se cherchent pas, elles ne se trouvent pas.
« Amants, le sommes-nous
encore, amants, l'étions-
nous ? »
« Toi
et
moi. »
***
Un fragment tombe — de toi, de nous —, je
n'étais pas de cœur à en faire état. Toi non plus
donc
c'est bien.
D'où
le sol monte et
emboîte son relief dans les empreintes de nos pieds, les
soutient, lourd de limon et de fruits en pourriture et d'autres en poussière, et d'autres dans l'état de maturité parfaite, simples, creux-et-pleins, noires
semences
indemnes.
« Lourd de miracles, de miracles que, à défaut de les comprendre, nous
contemplons. »
ARNAUD TALHOUARN
Arnaud TALHOUARN, écrivain et enseignant, a publié des poèmes, des narrations et des textes de critique littéraire dans diverses revues, parmi lesquelles
:
« L'Atelier du Roman » (revue des éditions Flammarion) n°60 et n°63 ;
« Pyro » n°20 ;
« Le Capital des Mots » en date de janvier 2012 ;
« Recours au Poème » à paraître en mai 2013 ;
« Dissonances » n°22, mai 2012 ;
« La Passe » n°16, à paraître fin 2012 ;
« A la dérive » n°4, à paraître fin 2012 ;
« Revue Alsacienne de Littérature » n°105 et n°107 ;
« Le Pont » (revue franco-iranienne) n°7 et n°8 .