Déni
Depuis combien de temps le sang n’a-t-il ruisselé entre tes cuisses ?
Le phantasme de la mère plane qui te battait et t’enfermait dans le placard.
Toi, petite soeur, seule dans le noir, les yeux ouverts pupilles bicolores
Tu criais. Moi, je te serrais contre moi tant et tant à t’étouffer.
Tu te taisais alors. Et puis c’étaient pour moi les longs couloirs blancs
Les portes battantes les chambres d’isolement fermées à double tour.
Les palpations et les électrochocs. Les questions sans réponses.
L’haldol.
Le phantasme de la mère plane qui finissait les bouteilles et cassait le verre
Contre tes poignets. Tu te taisais encore.
J’étais derrière ton mur de silence les prunelles décolorées à l’écoute
De la nuit qui avançait sur le crépuscule, de la haine qui l’emportait sur la nuit.
Et j’invoquais l’ange de lumière dans des éclairs rouges et noirs, la terre
Humide qui gronde et crache les corps qu’elle absorbe en gerbes sulfureuses.
Tu vomissais des territoires entiers que je recueillais en mes mains de
Géographe.
Je te lisais les Chants de Maldoror. J’allumais des bougies et faisais des
Incantations. Des messes noires. Pour qu’elle te laisse enfin, elle, la folle
Qui détruisait tes paysages d’un seul regard de lave incandescente.
Petite sœur, mon ange, je t’avais invoquée car comme toi j’étais déchue
De n’avoir connu que la colère et la honte. La révolte d’être vivante et de voir
Du don de double vue.
Depuis combien de temps l’eau n’a-t-elle ruisselé sur tes cuisses ?
Je voulais te protéger de la nuit qui avance sur le crépuscule, de la haine
Qui l’emporte sur la nuit.
Mais le mur est là, entre toi et moi
Entre moi et moi.
Et ce sont les longs couloirs blancs et les trousseaux de clés.
Les cachets que j’absorbe et qui font vaciller ton image.
Cet homme-là, en blanc, qui me dit qu’il y a trois ans
Que tu es morte.
CATHERINE ANDRIEU
Née en 1978, Catherine Andrieu a étudié puis enseigné la philosophie. Elle a publié un essai sur Spinoza aux éditions de L'Harmattan. Peintre et poète ( site d'art: http://www.catleen.eu), elle publie Poèmes de la Mémoire oraculaire aux éditions du Petit pavé en 2010.