Parce que créer s’apprend aussi !
Paolo, Jeanne, Kilian, Marie-Isaline, Doriane, Marie, peut-être Baptiste et Léo qui hésitent encore et quelques autres en EDE Arts visuels, ces mots pour vous expliquer pourquoi il ne faut pas renoncer encore à vos rêves.
J’enseigne un savoir vivant qui parle du monde d’hier et d’aujourd’hui, avec des artistes qui créent des œuvres qui intriguent, déroutent, dérangent et nous font vibrer en rendant le quotidien moins prévisible.
Un art millénaire et pourtant si fragile quand la folie des hommes s’attaque à sa liberté d’expression.
En seconde au lycée cette année, je vous enseigne les Arts plastiques en option facultative. Nous nous voyons tous les vendredis, le soir de 15h à 18h et je suis toujours admirative de votre curiosité et de l’énergie que vous avez après une semaine déjà bien remplie.
Votre groupe compte cette année une vingtaine d’élèves, des bons et d’autres qui parlent de leurs difficultés, des extravertis et des timides, des rapides et des lents, un qui ne tient pas en place et un qui sèche déjà parfois aussi, des espiègles et des scolaires, des élèves qui veulent faire des études artistiques supérieures et d’autres qui peignent et dessinent pour se détendre ! Chacun a sa place et j’espère, ne s’y ennuie pas.
L’administration du lycée a prévenu officiellement le 18 janvier que l’enseignement de spécialité d’Arts plastiques allait être supprimé l’an prochain. On ne nous a pas demandé notre avis. La nouvelle est tombée comme un couperet. Les raisons invoquées ont été la baisse de nos effectifs et la volonté de mettre en cohérence les enseignements artistiques en resserrant l’offre à l’Histoire des arts et au Théâtre. Vous ne pourrez donc pas poursuivre cet enseignement de spécialité en Arts plastiques auquel vous vous destiniez pour certains, l’an prochain, en première.
Il n’y aura pas d’alternative car cet enseignement de spécialité ne sera plus dispensé dans le Loir-et-Cher et plus dans votre lycée où il était enseigné pourtant depuis tant années.
Seul sera conservé l’enseignement facultatif et il n’est pas dur de parier qu’un jour ou l’autre, dans une prochaine disette budgétaire, il disparaisse aussi !
Qu’est-ce que cela va changer pour vous ?
Vous ne pourrez plus avoir un enseignement de cinq heures hebdomadaires, coefficient six pour obtenir un bac d’enseignement général. En approfondissant tant en pratique qu’en théorie notre discipline, vous pouviez acquérir de solides compétences qui vous permettaient d’accéder à des études artistiques dans le supérieur sans difficultés : Faculté d’Arts plastiques, Ecole des Beaux-Arts, Ecole d’architecture, Ecole spécialisée en illustration, en animation, en BD …
Votre projet d’études supérieures va être fragilisé par cette rupture d’un enseignement artistique auquel pourtant l’Education nationale devrait garantir à ses élèves un accès sur tout le territoire.
Bien sûr les plus convaincus d’entre vous vont s’accrocher à leurs rêves mais il n’y a pas d’égalité quand on doit se former par soi-même ou payer un enseignement au Conservatoire, il n’y a pas d’égalité quand l’art est enseigné comme un supplément d’âme et plus comme un savoir, il n’y a pas d’égalité quand l’école coupe ses branches les plus aventureuses, il n’y a pas d’égalité quand l’art ne sert plus à s’élever et à se transcender, il n’y a plus d’égalité quand l’art est mis en concurrence avec des chiffres, il n’y a plus d’égalité quand l’accès au savoir s’uniformise, il n’y a plus d’égalité quand l’art devient une théorie désincarnée et plus une pratique, il n’y a pas d’égalité quand on saupoudre la connaissance plutôt que de l’approfondir, il n’y a pas d’égalité quand on ne reconnait pas que l’art s’apprend et n’est pas inné, il n’y a pas d’égalité quand des parents éclairés emmènent leurs enfants au musée, au cinéma et d’autres plus modestes n’y vont pas, il n’y a pas d’égalité quand on prive un élève de son rêve et qu’on le remplace par autre chose.
Toutes ces années d’enseignement où j’ai vu des élèves se révéler, se découvrir, s’épanouir et se décider à faire des études artistiques me rassurent car il y aura toujours certes peu d’élèves proportionnellement qui s’aventurent dans cette voie mais je sais que ceux qui le font ne sont jamais là par hasard.
Vous comprenez peu à peu qu’une œuvre d’art n’est pas qu’une belle image ou une publicité avec quelque chose à vendre, que la matière de l’art c’est la pensée sur la vie et la mort aussi. L’art est un langage et nous cheminons ensemble pour apprendre à le comprendre, à ressentir ses formes et ses couleurs et à ne pas en avoir peur pour vous affirmer en disant ce que vous percevez.
L’art est un projet professionnel et un projet de vie viable. Nous sommes plusieurs à en avoir fait notre métier et notre passion et à ne pas le regretter, même en ces temps troubles où l’art et l’éducation artistique sont malmenés, puissiez-vous au moins en avoir la certitude, pour continuer à apprendre à créer.
Madame Weil, professeur d’Arts plastiques.
Le 30 janvier 2016
LAURE WEIL
Laure Weil se présente :
Professeur agrégée d'arts plastiques, je suis aussi curieuse de littérature, de cinéma et d'architecture. J'ai fabriqué quelques livres d'artistes, dont le lien entre eux semble être l'effacement. Livres restés confidentiels. J'écris généralement pour restituer une rencontre avec une œuvre, qu'elle appartienne au champ des arts plastiques ou au cinéma.
Je cherche à diffuser mes textes parce qu'il est plus facile de se motiver à écrire régulièrement quand on sait que ses textes sont susceptibles d'être publiés.
Mes écrits sont nourris par ma culture des arts plastiques et par ma liberté à jouer avec les mots, comme s'il s'agissait de couleurs pour un peintre.