Décrire le temps.
Pour ma conscience élastique c'est assez simple : il y a le temps linéaire (masculin), le temps cyclique (féminin) et le temps de l'orange (neutre). Le temps linéaire, c'est celui de la partition musicale ou celui de l'accélération d'un jet : il y a progression vers un meilleur ailleurs. Le temps féminin, celui des saisons et des fruits, celui des règles et des lois, est plus ancien : on révolutionne comme une planète autour de son soleil pour revenir à une date fixée à un autre ailleurs. Le temps de l'orange est celui de ma vie et de ma gourmandise ! J'ai pelé l'orange délicatement et précisément pendant mon enfance, j'ai disjoint les quartiers de l'orange sanguine pendant mon adolescence et j'en ai bu le jus, giclant entre mes dents, sur mes gencives, pendant l'âge adulte. Aujourd'hui, à l'âge de la reconnaissance à La Vie, il me reste dans les doigts une pelure, des filaments blancs et quelques pépins. Je me suis nourri du temps : jus et pulpe de l'orange. Or, je palpe ma vie passée et passéiste ; je constate mon présent enfumé de cigarette ; je ne prévois rien dans l'avenir sauf l'aggravation de ma maladie.
A ma mort, j'aimerais être recueilli par tante et marraine C., qui m'a « précédé » là-haut. Je fumerais avec elle une Camel, elle roulerait son tabac moins cher. Nous parlerions du bon temps comme des mauvais moments ; elle me conterait sa vie d'amoureuse effarouchée et fière ; je lui dirais mes « conquêtes » féminines et mes douleurs masculines... Elle me houspillerait en disant qu'il n'y a de « conquêtes » que dans l'esprit mâle des hommes, et que les femmes obtiennent d'eux ce qu'elles veulent. Elle citerait le dicton : « ce que femme veut, Dieu le veut ». Je la prendrais au mot et lui demanderais pourquoi alors les violences conjugales, souvent, très souvent au détriment des femmes. Elle me dirait des choses que je ne comprendrais pas et se tairait. Nous inhalerions les toxiques vapeurs de cigarettes et nous parlerions d'autre chose, comme nos vacances avec B. aux Sables d'Olonne (je crois). Ce serait un temps mort avec Marraine.
Proust partait à la recherche du temps qui passe ; d'Ormesson écrivait le temps qui passe ; l'actualité aujourd'hui déroule les événements infiniment douloureux qui agitent les médias et les classes moyennes. Nous n'en pouvons plus de ce temps qui se répète indéfiniment dans la douleur – et pas les douleurs de l'enfantement : c'est une douleur continuelle et lancinante, œuvre de Satan pour sûr ! Satan a trouvé la parade à l'amour et à la bonté de Jésus : la productivité, les proactifs(-ves), l'instant « t » des profits colossaux. Tout cela sous le couvert de la modernité de la financiarisation et de la mondialisation de l'économie d' « échanges ». Le monde ne donne le change qu'aux agents de change, aux riches en clair. La peur de la pauvreté crée l'indigence des pauvres : économie et culture sont attribuées aux tenants de bonnes finances familiales (la vieille noblesse, la vieille France) et de bonnes finances patrimoniales (les marchés des traders, des courtiers). Rien ne sert de l'écrire une énième fois : personne ne change de monde. L'Etat attribue des revenus minima sociaux aux pauvres et se sert de l'emploi et du chômage comme de la menace la plus tenace. Croire aux nouvelles constitutions est velléitaire mais je le crois : il faut changer la donne du temps. Ainsi, je souhaite ma mort prochaine pour ne pas laisser de traces. « Pas de vagues » apprenait-on dans la Marine ; soit ! J'aurais fait un sillage vite mangé par les vagues des mers, happé par courants et baïnes. Bref, la perturbation « Thomas Besch » va se dissiper dans la météo du temps des anticyclones et des dépressions. C'était bref, situé dans le nord de l'arc alpin, et un peu au sud-est des USA. Cela a duré que peu de temps, et pour quels résultats ? La vie de « Thomas Besch » n'a pas changé ni celle d'hypothétiques lecteurs. L'hypothèse temps est achevée. La synthèse se fera dans l'analyse et la découverte de la matière sombre, il est grand temps depuis le Big Bang !
Le temps d'une plume
Le temps d'une fleur
Le temps effleure
Que d'erreurs j'hume !
***
In utero
Le rêve d'un pilote de chasse est de s'éjecter. A Mach 1,8 (Rafale), il veut sortir de « la synesthésie du sur place » dont parle Roland Barthes dans « L'homme-jet ». Vêtu d'un moi-peau uniforme (la combinaison), il respire l'air filtré par la machine et l'Air Liquide des bo(m)bonnes d'O2. Il évolue dans l'enveloppe de vol grâce à des tubes : phallus, tétons, manche(s), manettes, joysticks ; il « secoue » le ventre de la mère aviaire aux limites de l'expulsion.
Quand, l'urgence apparaissant, il communique avec elle sur 121,5 ou 243,00, il l'appelle « Maman », « Marina ».
Ses pères castrateurs font figure d'instructeurs et de gradés : ils l'habituent à vivre à l'étroit dans une cabine étroite. Fait-il alors corps avec le cockpit, l'habitacle ? Oui ou Non ? C'est le syndrome foetal de non-éjection que ses pairs l'habituent, dans le même entraînement, à contrecarrer : « poignée haute ! Poignée basse ! » pour déclencher les fusées du siège éjectable, briser la verrière et être suspendu dans les airs à « 200 kt, 2000 ft ». Là, on lui attachera une cravate Martin-Baker autour du cou et il sera pendu. Comme banni...
La peau de son visage est marquée par le « groin » (inhalateur) et il ressemble à un aspirateur qui aspire avec avidité l'oxygène, un « alien » avant la métamorphose. Mais, peut-il seulement muer, se mouvoir sans prothèses techniques ? Pourtant, il passe ses journées et soirées en salles de musculation, gymnases, champs de tirs, salles opérations, briefings MTO, footing sur l'aire de la base ou du P.A., simulateurs...
Alors, ce pilote de chasse castré câblé simule-t-il ? Jouissance du corps à corps avec d'autres machines de fer et de composites en combats aériens ; jouissance des virages sous facteur de charge en BA ; jouissance du muscle optique... jouissance proprioceptive... jouissance d'enfiler l'armure... jouissance de poser le pied sur l'échelon... jouissance du pas lourd en sortie d'avion... jouissance du débriefing avec les mains... jouissance de la cigarette avec les copains...
Mais a-t-il vraiment des copains avec qui partager le pain ? Le macaron lui échappera ; l'insigne ne sera pas portée, ailes tordues mais brisées sur la Tenue 22.
Rester élève-pilote ; saluer les couleurs quoiqu'il en coûte... sauf une fois.
THOMAS BESCH
Il se présente :
A l'âge descendant (cinquante-cinquante et un an), il est formé au CH Le Vinatier au métier pionnier de médiateur de santé/pair.